Les contes sont une inspiration majeure des œuvres de Prokofiev. Commandée en 1940 au compositeur pour un ballet, Cendrillon mettra cinq ans à être présentée au public en raison de la seconde guerre mondiale. La composition musicale souligne parfaitement la personnalité des personnages du conte de fées et entre en symbiose avec le ballet classique.
L’imaginaire et les contes de fées ont toujours vivement intéressé Prokofiev. L'une de ses premières œuvres, Le Géant, est un opéra qu’il a composé à neuf ans seulement, avec l’aide de sa mère. Ses opéras ultérieurs comportent notamment Sur une île déserte, Ondine (au sujet d’un esprit des eaux) et L'Amour des trois oranges (basé sur une pièce de commedia dell'arte de Carlo Gozzi). L'histoire de Pierre et le Loup est connue de presque tous les enfants du monde occidental. Il y a aussi la mélodie Le Vilain Petit Canard (tirée d'un conte d'Andersen), Le Conte de la Fleur de pierre (ballet inspiré d’un conte populaire russe), les Contes d'une vieille grand-mère, pour piano, la musique du film Lieutenant Kijé, dont l'intrigue porte sur l'histoire « vraie » d'un homme qui n'a jamais existé et, bien sûr, par-dessus tout, la partition du ballet Cendrillon.
Ce conte de fées de Charles Perrault a inspiré de très nombreux compositeurs. Outre le traitement que lui a réservé Prokofiev, Rossini, Massenet, Wolf-Ferrari et Leo Blech en ont fait des opéras, Johann Strauss II, Frank Martin, Peter Maxwell Davies et Fernando Sor, des ballets, et Eric Coates, Selim Palmgren et sir Ernest MacMillan, des pièces orchestrales, pour ne citer qu’eux. En Russie seulement, ce conte est dansé sous une forme ou une autre depuis plus de 250 ans, et c'est d’ailleurs par un spectaculaire ballet-pantomime de Cendrillon, sur la musique d'un compositeur aujourd’hui oublié, qu’on a inauguré le Théâtre Bolchoï de Moscou, en 1825.
Après le succès de Roméo et Juliette remporté par le Kirov à Leningrad (aujourd’hui, de nouveau Saint-Pétersbourg) en 1940, la compagnie lui demande un autre ballet. Prokofiev s'associe alors à Nikolaï Volkov, qui fournit le scénario de Cendrillon. Il termine la partition piano des deux premiers actes en juin 1941, mais l'invasion allemande survenue le 22 juin l’incite à délaisser le ballet pour travailler à quelque chose qui refléterait la lutte de la Russie contre l'offensive nazie. Cette idée allait devenir son immense opéra de quatre heures, Guerre et Paix. C'est aussi de cette époque que datent ses trois sonates pour piano dites « de guerre » (numéros 6, 7 et 8) et sa musique du film Ivan le Terrible.
Prokofiev reprend Cendrillon deux ans plus tard, au milieu de l’année 1943. Il s'attend à ce que le ballet soit présenté par le Kirov, cantonné à Molotov (aujourd’hui, de nouveau Perm) pendant la guerre, mais la première représentation est plutôt donnée par le Bolchoï, à Moscou, le 21 novembre 1945, soit six mois après la fin de la guerre en Europe. Le chorégraphe est Rostislav Zakharov et le chef d'orchestre, Yuri Fayer, qui contrarie vivement le compositeur en modifiant son orchestration. (Des problèmes de santé avaient empêché Prokofiev d’assister aux derniers préparatifs de la création). Peu après cette première représentation couronnée de succès, Prokofiev extrait de la partition complète dix-neuf pièces réparties en trois suites bientôt intégrées au répertoire orchestral sous les numéros d’opus 107, 108 et 109. En 1946, le Kirov présente, à Leningrad, une nouvelle production du ballet.
Certains compositeurs ont délibérément minimisé ou supprimé les éléments de conte de fées de cette histoire. Prokofiev fait l’inverse. « Dans mon travail sur Cendrillon, écrit-il, l’aspect conte de fées a joué un rôle majeur, ce qui m'a valu quelques problèmes intéressants - l’étrangeté de la bonne fée marraine, le souffle vif et poétique de la nature dans la représentation des fées des quatre saisons et de leur entourage, la vision des douze nains qui sautent de l'horloge à minuit et battent la mesure pour rappeler à Cendrillon qu’elle doit rentrer à la maison, et la rapide succession des pays que visite le prince à sa recherche. »
Se souvenant des problèmes que le Kirov lui avait causés dans le cas de Roméo et Juliette (jugé « indansable » par les danseurs et le chorégraphe), Prokofiev le modèle sciemment sur les grands ballets de Tchaïkovski (Le Lac des cygnes, La Belle au bois dormant, Casse-Noisette), et y intègre de la musique qui correspond aux modèles et structures classiques, dont des danses traditionnelles du 18e siècle telles que la bourrée et la gavotte, des adagios, des variations et des pas de deux.
Sergueï Prokofiev : Sontsovka (maintenant Krasne), Ukraine, 27 avril 1891 – Moscou, 5 mars 1953
Notes par Robert Markow