En 1954, le chorégraphe russe George Balanchine (1904-1983), directeur artistique du New York City Ballet aux États-Unis ressort des oubliettes une œuvre qu’il a connu durant son enfance appelée Casse-Noisette, élaborée sous la direction de Marius Petipa (1818- 1910) en 1892. L’engouement des américains est spontané devant la version de Balanchine : le sens du merveilleux associé à Noël se retrouve dans tous les aspects de la chorégraphie sans sa dimension narrative. S’ensuit une série de Casse-Noisette dans toutes les grandes villes d’Amérique du Nord. Ludmilla Chiriaeff, Fondatrice des Grands Ballets Canadiens (GBC), s’en inspire. Elle sait que Fernand Nault (1920-2006), un canadien qui poursuit sa carrière de danseur et de répétiteur aux États-Unis depuis vingt ans, a élaboré sa version au Louisville Civic Ballet. En 1963, lors d’une rencontre entre les deux artistes à Montréal, M. Nault lui propose de produire une soirée complète avec ce ballet.
En 1964, moment de sa création aux GBC, le ballet Casse-Noisette est dans l’air du temps. La version de M. Nault rétablit avec brio la partie narrative du ballet : la fête du premier acte, l’importance de Drosselmeyer, la bataille des soldats avec les rats, teintée d’humour. Il met en scène plus de 40 enfants. Certaines versions n’en utilisent pas du tout, comme celle du théâtre Bolshoi de Russie. M Nault tient à ce que les plus jeunes soient présents pour donner le sens de la fête. De plus, il a ajouté des « petites souris » à la chorégraphie. Grâce aux différentes sections du premier acte, le ballet devient une plate-forme d’émulation extraordinaire; il permet à chaque enfant qui participe à la production de prendre un nouveau rôle à chaque année de sa formation et d’anticiper ce que sera le prochain défi.
On peut imaginer le travail de répétition que cela réclame. M. Nault le dit lui-même : « le plus difficile est de monter le fête: faire répéter les enfants seuls, les danseurs professionnels et de là, les placer ensemble. Ce qui parait tellement simple en scène est la chose la plus difficile : faire bouger chaque enfant, les bonnes, les mamans, les papas en harmonie et créer des situations intéressantes pour tous ces gens. » (Programme souvenir 1976).
M. Nault n’a jamais cessé de s’impliquer lors des répétitions, trop content de côtoyer cette jeunesse qui, avide d’expérimenter l’exhaltation de la scène, est heureuse de travailler avec lui. Il aura assumé cette tâche jusqu’à l’âge de 80 ans mais dès 1984, un assistant en la personne d’André Laprise le seconde afin de perpétuer l’esprit du ballet, sa vivacité et sa pertinence. En 1987, à l’occasion du 30e anniversaire des GBC et afin d’assurer la pérennité du spectacle, la compagnie décide de créer de nouveaux décors, de nouveaux costumes ce qui permettra à Fernand Nault d’affiner la mise en scène.
L’œuvre est maintenant devenue l’emblème du temps des fêtes sur le territoire nord- américain. À Montréal, la version de M. Nault avec les GBC célèbre cette année son 60e anniversaire. C’est une tradition pour les Québécois, toutes générations confondues. Il n’est pas rare de voir des grands-parents, heureux d’initier leurs petits-enfants à la danse lors d’un spectacle de Casse-Noisette. La magie du ballet, l’émotion qu’il suscite et la féérie qui s’en dégage continuent d’opérer en ce doux temps de réjouissance.
Marie Beaulieu, Ph.D.
Historienne de la danse