Quelle est la première pièce de musique classique que vous avez entendue, enfant? Était-ce quelque chose de Mozart? Tchaïkovski? Beethoven? Pour plusieurs d’entre nous, c’était Pierre et le Loup, de Prokofiev. Pierre est encore bel et bien avec nous, comme le sont plusieurs autres œuvres de Prokofiev.
Dès son enfance, Prokofiev donne des indices de ce que sera sa carrière. À cinq ans, il compose de petites pièces pour piano. À 13 ans, au moment de son inscription au conservatoire de Saint-Pétersbourg, il soumet quatre opéras, deux sonates, une symphonie et plusieurs compositions pour piano. Lors de son exercice de fin d'études, il est le soliste de son propre Premier Concerto pour piano devant un jury de vingt juges, dont chacun a en mains la partition publiée.
En avril 1918, dans le sillage de la révolution russe, Prokofiev part vers le Nouveau Monde. Il passe les dix-huit années suivantes en exil tout en effectuant des allers-retours outre-Atlantique. Pendant son séjour aux États-Unis, il devient presque un compositeur d'Hollywood. Les grands studios le courtisent, Walt Disney le veut pour Fantasia, et il fréquente des stars telles que Marlene Dietrich et Gloria Swanson. À Paris, il collabore avec Diaghilev, le célèbre impresario des Ballets russes, pour plusieurs commandes de ballets, dont Le Bouffon (écrit avant de quitter la Russie), Le Pas d'acier et Le Fils prodigue. Il vient deux fois au Canada, en 1919 et en 1930, année où il se produit en récital à la salle Moyse de l'université McGill. En 1927, il effectue le premier de nombreux séjours dans son pays natal où il rentre pour de bon en 1936, l'année où il compose Pierre et le Loup.
Peu de compositeurs, en particulier du 20e siècle, sont connus grâce à une telle quantité d'œuvres populaires, comme la Symphonie classique, la Symphonie no 5, les partitions des ballets Roméo et Juliette et Cendrillon, les deuxième et troisième concertos pour piano, les deux concertos pour violon, la Sonate no 7 pour piano, la suite d’orchestre Lieutenant Kijé, la cantate Alexandre Nevski et le colossal opéra Guerre et Paix (en 2002, la production du Met a nécessité 1 200 costumes), et la liste continue. Et n’oubliez pas Pierre!
Qu'est-ce qui donne à la musique de Prokofiev une spécificité aussi pérenne? Simplicité sous-jacente de la ligne musicale, tendance marquée vers la tonalité (malgré les dissonances grinçantes de certaines œuvres antérieures), remarquable savoir-faire et rythmes entraînants, voilà quelques éléments de réponse, sans oublier l’étonnante capacité de Prokofiev à combiner grotesque et lyrisme, satire et fantaisie. Sa musique ne ressemble à aucune autre : elle est presque toujours immédiatement reconnaissable comme issue d'un seul et même compositeur. Pour Yuli Turovsky, d'origine russe et fondateur de l'ensemble I Musici de Montréal, « la musique de Prokofiev est aussi belle que celle de Tchaïkovski, mais avec une nouvelle tournure. Elle demeure très humaine et sensible, sans presque jamais verser dans la banalité. Tout y est frais et inédit. »
Notes de Robert Markow