Céline Verchère est diplômée de la troisième cohorte de la Voie Alternative et intervenante au CNDT. L’été dernier, elle a donné une conférence dans le cadre de TEDxSherbrooke sur l’influence de la danse sur nos apprentissages théoriques. Dans cet article, elle présente son parcours et sa compréhension de la valorisation du mouvement et de la conscience du corps avec l’esprit critique et la recherche.
Politologue et sociologue de formation, je poursuis une carrière dans la recherche depuis plus de 20 ans maintenant, d’abord en France puis au Canada. Parallèlement, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dansé. Petite, adolescente, puis adulte, j’ai touché à plusieurs styles avant d’élargir mon horizon en m’initiant aux pratiques somatiques et de pleine conscience. C’est donc avec une grande joie que j’ai intégré la formation de la Voie Alternative du Centre national de danse-thérapie des Grands Ballets Canadiens (2019-2021), dans le but d’enrichir et de donner un cadre à mes connaissances sur le corps, le mouvement et la danse au service du mieux-être et du développement de l’humain.
J’ai appris et j’ai aussi été profondément transformée par cette formation, qui repose sur l’hypothèse d’une approche unifiée du corps et de l’esprit comme producteur de connaissances. Par la suite, il m’est devenu difficile de composer avec le milieu de la recherche, où l’approche cartésienne prime. Il semble en effet que, depuis le 17e siècle, penser (i.e. produire des connaissances scientifiques) revient à se soustraire du corps, à s’écarter de toute émotion qui nous empêcherait de raisonner en toute objectivité (le fameux « je pense donc je suis »). Or, nous le savons tous et toutes en danse-thérapie : mettre le corps en mouvement permet de produire de la connaissance. Mais quelles connaissances, au juste? C’est l’objet de la conférence TEDx que j’ai présentée en juin 2022 à l’Université de Sherbrooke (UdS) et dont le titre est « Apprendre par corps ». L’hypothèse que je défends est que la connaissance du corps est une connaissance du Juste, du Raisonnable et du Care (prendre soin) : à travers mon corps, en connexion avec mes pensées et mes émotions, je suis en meilleure capacité de toucher du doigt ce qu’il est raisonnable de faire (par exemple dans ma recherche) en relation avec le monde qui m’entoure.
C’est donc dans un double mouvement que je navigue aujourd’hui. Il consiste à reconnaître l’intérêt de la recherche « classique » (par exemple en neurosciences) pour soutenir les développements en danse-thérapie et favoriser la diffusion de ce savoir. Mais il est aussi, à l’inverse, de considérer la danse-thérapie comme une base solide permettant d’accéder à une pratique du Sensible, où l’expérience du corps et de ses mouvements, intra/intercorporels, conduisent à une présence à soi et au monde, et d’en reconnaître la portée éthique et politique. La danse-thérapie, au-delà de la pratique usuelle dans un contexte d’intervention, peut aussi être envisagée comme un vecteur de changement social et culturel. En apprenant à reconnaître ce qui la meut et l’émeut, toute personne engagée dans « le mouvement » prend conscience de ce que signifie s’orienter dans le monde à partir de ce savoir incarné; elle prend conscience des rôles, pouvoirs et influences qui la poussent à agir, ainsi que des mécanismes d’alliance et de menace tacites; elle peut décider de faire autrement (mobiliser une gamme inédite de mouvements). Elle peut enfin décider de créer de nouvelles avenues et ainsi agir à titre d’acteur et d’actrice de changement.
Cette connaissance est trop peu valorisée en recherche. Elle est essentielle, selon moi, aujourd’hui, alors que nous vivons de grandes transitions (comme celle relative au changement climatique par exemple) et la question de « l’impact » des recherches se pose avec une acuité renouvelée. Ainsi, je rêve d’un monde où nous formerons les étudiants et étudiantes, toutes disciplines confondues, à la connaissance du corps et du mouvement, d’un monde où les chercheurs et chercheuses auront appris à faire usage de cette connaissance sensible, incarnée, du rapport au monde. Dans ce monde-là, collectivement, nous développerons une « conscience agissante ». Nous serons alors peut-être plus armés et capables de « prendre soin » collectivement, de soi, des autres, de la planète. Je rêve? Peut-être! Mais à l’impossible, nous sommes tenus, désormais. Danser pour penser le monde autrement : let’s do it!