Un peu partout dans la ville, à la rentrée, on peut habituellement admirer l’affiche du premier spectacle des Grands Ballets. Malheureusement, ce ne sera pas le cas cette année, puisque le visuel du premier ballet de la saison 2017-2018 de la compagnie, Stabat Mater, sur la célèbre musique de Pergolèse, a fait réagir la STM (Société des transports de Montréal), partenaire des Grands Ballets depuis plus de huit ans. En effet, la STM a refusé que l’affiche du spectacle soit placardée dans le réseau du métro, la jugeant inacceptable.
Une image insoutenable ?
Pour justifier son refus, la STM invoque deux clauses de l’article 14 des Normes canadiennes de la publicité (NCP) sur les représentations inacceptables:
(b) donner l’impression d’exploiter, tolérer ou inciter de manière réaliste à la violence ; ni donner l’impression de tolérer ou d’encourager expressément un comportement physiquement violent ou psychologiquement démoralisant ; ni encourager expressément ou montrer une indifférence manifeste à l’égard d’un comportement illicite.
(d) miner la dignité humaine, ou afficher une indifférence manifeste à l’égard d’une conduite ou d’attitudes portant atteinte aux bonnes mœurs courantes au sein d’un important segment de la société, ni de les encourager gratuitement et sans raison.
Les Grands Ballets, porteurs eux-mêmes d’une vision inclusive, d’ouverture et de respect, reconnaissent bien sûr ces normes éthiques émises par le bureau des NCP; des normes éthiques évidentes. Cependant, la compagnie ne partage pas le point de vue de la STM quant à l’interprétation de ladite photographie. Loin de vouloir alimenter la controverse, Les Grands Ballets souhaitent expliquer ce choix, mettre l’image en contexte et élargir le débat et la réflexion.
Cette affiche, mettant en scène une danseuse de la compagnie, est inspirée du thème principal de la pièce Stabat Mater, soit la douleur insoutenable que ressent la femme suite à la perte de son enfant.
Stabat Mater
Expression de la profonde affliction de la Vierge devant son fils crucifié, le poème religieux médiéval du Stabat Mater – en latin : « la mère se tenait debout » –, du moine franciscain Jacopone da Todi, a souvent été mis en musique, devenant un genre à part entière dans lequel s’illustreront maints compositeurs. La version de Pergolèse est considérée comme l’une des plus poignantes. Œuvre emblématique du baroque, d’une expressivité bouleversante, c’est une œuvre de méditation et de recueillement, un pur chef-d’œuvre métaphysique. Et pour le chorégraphe Edward Clug, qui l’a utilisée comme trame musicale du spectacle produit par Les Grands Ballets, c’est avant tout une œuvre porteuse d’espoir.
Par extension, pour Ivan Cavallari, directeur artistique des Grands Ballets, le Stabat Mater symbolise non seulement la douleur de la Vierge devant son enfant crucifié, mais la souffrance universelle, laquelle, aujourd’hui, est socialement occultée puisqu’elle nous renvoie à la mort et à notre propre finitude: « Cette image nous confronte à notre terreur même de la mort que nous préférons éluder. Faire face à la mort, au deuil, à la souffrance, à la douleur nous dérange… Et pourtant, nous ne sommes pas choqués par les images hyper sexualisées de certaines publicités… »
En produisant cette affiche, Les Grands Ballets n’ont jamais eu l’intention de porter atteinte à la dignité de quiconque. La référence sacrée à Pergolèse a tout simplement inspiré l’idée de cette image, destinée à promouvoir une soirée empreinte de spiritualité, à l’image de toute la saison 2017-2018 de la compagnie. Outre le Stabat Mater, revisité par Edward Clug, la 7e Symphonie de Beethoven, une création d’Uwe Scholz, constitue l’autre œuvre phare de cette soirée sous le signe du« concert de danse », avec voix solo et l’Orchestre des Grands Ballets.
«Il ne nous reste plus qu’à inviter le public à voirle résultat sur scène et à tirer ses propres conclusions», mentionne Ivan Cavallari.