Programme mixte de Glen Tetley, Hélène Blackburn et Jiří Kylián
Bella Figura est un programme d’exception réunissant trois œuvres fascinantes qui explorent, chacune à leur manière, la profondeur de l’expérience humaine. Sous ce titre évocateur, se déploient Voluntaries de Glen Tetley, Fête Sauvage d’Hélène Blackburn et Bella Figura de Jiří Kylián. Trois univers distincts, trois visions de la danse qui se répondent et se complètent dans une même quête d’émotion pure.
Avec Voluntaries, Glen Tetley compose un hommage vibrant à la résilience et à l’élévation spirituelle. Dans un tourbillon de mouvements suspendus entre ciel et terre, les danseurs traversent un deuil lumineux, portés par la musique envoûtante de Poulenc. Fête Sauvage, quant à elle, explose d’une énergie viscérale et instinctive. Hélène Blackburn y orchestre un ballet frénétique où la physicalité brute du mouvement célèbre la force du collectif et la puissance de l’instant présent.
Enfin, Bella Figura, la pièce emblématique de Jiří Kylián, s’impose comme une réflexion troublante sur la beauté, l’illusion et la vulnérabilité. Entre ombre et lumière, nudité et artifice, les corps se dévoilent dans une danse qui oscille entre maîtrise et abandon. Plus qu’une performance, c’est une interrogation : où commence réellement le spectacle? Sur scène, dans les coulisses, ou dans la vie elle-même?
À travers ces trois œuvres, Bella Figura devient une expérience totale, un voyage où la danse révèle ce que les mots ne peuvent exprimer.
Avec Voluntaries, Glen Tetley compose un ballet qui est à la fois un voyage spirituel et une odyssée physique. Créée en 1973 pour le Ballet de Stuttgart, cette œuvre est un hommage bouleversant à John Cranko, disparu l’année précédente. Elle incarne la complexité chorégraphique et intellectuelle propre au style de Tetley, tout en étant une exploration crue du deuil et de la transcendance.
Dès les premières secondes, le ballet impose son atmosphère : un silence pesant, une absence vibrante. Puis, dans un fracas brutal, le premier accord du Concerto en sol mineur pour orgue, cordes et timbales de Poulenc transperce l’espace. Une figure émerge de l’ombre, le corps tendu vers la lumière, les bras décrivant de grands cercles, cherchant à saisir l’insaisissable. La musique de Poulenc, composée à une période où il s’éloignait des facéties de sa jeunesse pour embrasser une gravité presque sacrée, se déploie en volutes sonores tour à tour écrasantes et aériennes. Dans certains passages d’orgue éclatants de mélodie, une légèreté carnavalesque affleure encore, écho du théâtre parisien des années 1920 et 1930.
Tetley fusionne la danse classique et moderne avec une rare virtuosité. Voluntaries exige des interprètes une physicalité ardente, les poussant dans leurs retranchements. Ils doivent allier l’élévation éthérée du ballet à l’ancrage viscéral de la danse contemporaine. Le mouvement naît des profondeurs du corps, jaillit avec urgence, tout en conservant une apparente spontanéité. Une pose récurrente structure la chorégraphie : une croix vivante, bras étendus, tête rejetée en arrière, image évocatrice de la Crucifixion. Ce motif sert de pivot entre deux états d’être : d’un côté, des envolées spectaculaires où les danseurs défient la gravité, propulsés par les timbales et les orgues grondants ; de l’autre, des instants d’introspection, magnifiés par les passages lyriques de l’orchestre à cordes.
Voluntaries est une œuvre de liberté et d’élévation. En musique, un «voluntary» désigne une improvisation à l’orgue, souvent jouée lors d’un office religieux. Son étymologie latine renvoie à l’idée de «voler» ou de «désirer». Ce double sens résonne profondément dans la pièce de Tetley, où la danse devient un rituel de renaissance, un témoignage de la résilience de l’esprit humain face à la perte.
En transcendant les cadres de la danse, Tetley fait de Voluntaries une expérience autant qu’une œuvre. Pour les danseurs, c’est un passage initiatique, une mise à l’épreuve physique et émotionnelle. Pour le spectateur, c’est une méditation sur la mémoire, le deuil et la force vitale qui pousse le corps à se relever et à s’élancer, encore et encore, vers la lumière.
Chorégraphie : Glen Tetley © Glen Tetley Legacy
Musique : Francis Poulenc
Décors : Ivan Cavallari, Benoit Archambault
Costumes : Ivan Cavallari
Éclairages : Marc Parent
Fête sauvage d’Hélène Blackburn nous secoue avec une énergie brute et primitive. Portée par des rythmes contemporains, la chorégraphie précise se déploie à travers une succession de solos et de duos, autant d’instants de plaisir et de rencontres impromptues. La pièce nous invite à reconnaître le cœur sauvage qui bat en nous et à dépasser les conventions.
Chorégraphie : Hélène Blackburn
Musique : Martin Tétreault
Décors et costumes : Hélène Blackburn
Éclairages : Marc Parent
L’idée derrière Bella Figura, ainsi que tout ce qui l’a construite, peut sembler simple au premier abord, mais elle se révèle bien plus complexe quand on la regarde à travers le prisme de notre propre expérience. C’est une parabole sur la relativité de la sensualité, de la beauté et de l’esthétique, mais aussi sur la façon dont nous affrontons ces notions au quotidien. C’est un voyage à travers le temps et l’espace, qui met en lumière à la fois notre dignité et nos doutes. Trouver la beauté dans une grimace, dans un esprit tourmenté ou dans une contorsion physique… C’est comme tenter un exercice d’équilibriste sur le fil invisible de notre existence.
Pour les danseurs, Bella Figura n’est pas seulement une démonstration de leur maîtrise technique ou de leur sens esthétique. C’est aussi une acceptation de leurs faiblesses, de leurs doutes et de leur vulnérabilité.
En italien, «Bella Figura» ne signifie pas seulement beau corps. C’est aussi une expression qui traduit une certaine résilience face aux difficultés de la vie. En d’autres termes, cela signifie aussi faire bonne figure…
Autrement dit, le public qui assiste à la représentation ne sait rien de ce que vit le danseur sur scène. Il ignore s’il traverse une période difficile ou s’il lutte intérieurement contre ses propres tourments. Mais le danseur, lui, sait que le public ne sait pas. Tout ce qu’il sait, c’est que ces spectateurs ont payé leur place et attendent d’être émerveillés. Alors, il met son Bella Figura et danse.
Depuis longtemps, je me pose ces questions :
"Qu’est-ce qu’une performance? Qui sont réellement les interprètes?"
"Quand commence réellement un spectacle? Est-ce quand le rideau se lève, ou dès notre naissance? Ou bien est-ce au moment où le chorégraphe enseigne les premiers pas aux danseurs?"
"Le spectacle débute-t-il quand les artistes se maquillent ? Et prend-il fin lorsqu’ils quittent la scène, ou bien se prolonge-t-il jusqu’à la fin de nos vies?"
"Quelle est la différence entre les vêtements que nous portons dans la rue et les costumes de scène? Où se situe la frontière entre l’art et l’artifice, entre le rêve et la réalité?"
Et enfin : "Où se trouve la limite entre la vérité et le mensonge?"
Finalement, toutes ces interrogations peuvent se résumer de façon bien plus simple : imaginez que vous rêvez de tomber de votre lit. Puis, en vous réveillant le matin, vous réalisez que vous avez une côte cassée.
-Jiří Kylián - La Haye, 23 septembre 2007
Chorégraphie : Jirí Kylián
Musique : Lukas Foss, Giovanni Battista Pergolesi, Alessandro Marcello, Antonio Vivaldi, Giuseppe Torelli
Décors : Jirí Kylián
Costumes : Joke Visser
Éclairages : Kees Tjebbes
LES GRANDS BALLETS